Pour La Science, décembre 2004
Les étoiles rebelles
Sur l'autoroute galactique, des étoiles roulent à contre-sens.
On pensait
que presque toutes les étoiles contenues dans le disque de la Voie
Lactée se
déplaçent en ordre sur des orbites quasi-circulaires autour
du coeur de la
galaxie. Benoit Famaey et ses collègues de l'Université Libre
de Bruxelles
viennent cependant de découvrir que près d'une étoile
sur cinq dans le
voisinage du Soleil ne suit pas le mouvement d'ensemble, et appartient à
des
courants d'étoiles qui traversent la Galaxie.
Les astronomes ont d'abord mesuré à l'aide du télescope
suisse de l'observatoire de
Haute-Provence le décalage doppler de 20 000 étoiles dans un
rayon de 1000
années-lumière, qui indique si elles s'éloignent ou
se rapprochent de la
Terre. En combinant ces données avec celles du relevé Hipparcos,
qui recense
les distances précises de 100 000 étoiles, et de celles du
catalogue Tycho-2,
qui fournit leurs mouvements apparents sur la voûte céleste,
ils ont dressé
une carte des déplacements de ces étoiles en trois dimensions,
et ont analysé
les trajectoires de 7000 étoiles géantes proches.
Un cinquième d'entre elles ne suivent pas la rotation d'ensemble autour
du centre de la
Galaxie. Ces étoiles rebelles se répartissent en trois groupes
diffus qui se
croisent aux alentours du Soleil. On connaissait auparavant un petit nombre
d'étoiles se déplaçant à contre-courant, que
l'on supposait appartenir à des
"super-amas", des groupes d'étoiles d'origine commune progressivement
évaporés. Les analyses de l'équipe de B. Famaey montrent
au contraire que
les étoiles de ces courants ont des âges et des compositions
chimiques différentes, et
sont donc d'origines diverses. Les étoiles de chaque courant, non
liées par
la gravitation, ont pour seul point commun la direction dans laquelle elles
se dirigent.
Ces courants dérivent principalement vers le centre galactique ou
vers
l'extérieur, comme le long des rayons d'une roue. Des simulations,
réalisées à
l'Université d'Oxford (Royaume Uni) et de Rutgers (USA), indiquent
que les bras spiraux de la galaxie sont à l'origine de ces regroupements
d'étoiles sur des trajectoires inhabituelles. Les bras spiraux sont
des
ondes de densité, qui se déplacent en augmentant localement
et
temporairement la densité du milieu interstellaire. Ils tournent dans
le
même sens que les étoiles, mais, alors que la révolution
des étoiles proches
du centre est plus courte que celle des étoiles situées sur
le bord du
disque, les bras spiraux se déplacent en bloc, à vitesse angulaire
constante. Le rayon où les étoiles et les ondes de densité
tournent à la
même vitesse est nommé corotation. Aux abords de la corotation,
les étoiles
situées en deçà rattrapent l'onde spirale et tombent
dans son puit de
potentiel, ce qui les catapulte vers l'extérieur de la galaxie, tandis
que
les astres situées au-delà sont déviés vers l'intérieur.
Loin de la
corotation, les étoiles ont des vitesses trop différentes des
ondes spirales
pour Ítre affectées par leur passage.
Des étoiles au départ sur des trajectoires différentes
sont ainsi
délocalisées et se déplacent de concert. Ces courants
ont peut-être conduit
des systèmes planétaires dans le voisinage du Système
solaire. Les étoiles
accompagnées de planètes ont en effet une métallicité
- la proportion
d'éléments plus lourds que l'hélium - en moyenne plus
élevée que la normale.
Or, de telles étoiles résident de préférence
dans des régions plus centrales de la Galaxie.
Les systèmes planétaires ont ainsi pu se former près
du coeur de la galaxie et
migrer vers notre région après le passage d'un bras spiral.